Anonymat
Sois ton nom
Faire écrire un texte pour une intelligence
artificielle n’est pas seulement une tricherie, c’est un déni de la personne,
une négation de soi. « Signer » ledit texte est une perfidie. C’est
vouloir disparaître dans l’acte même de communiquer. La contradiction est
carrément explosive. Il y a quelque chose de suicidaire dans un tel
comportement. Publier, ou « poster », un « contenu » pour
lui donner une large audience, dans l’instant où l’on s’efface, est assimilable
à un attentat kamikaze. Le vertige de la mort n’est pas loin. Il ne s’agit pas
d’« instinct de mort » comme le nommerait Freud, mais d’un désir de
mort, désir paradoxal par excellence, inversion de la vie même.
J’ai toujours eu une horreur absolue de l’anonymat. Il y a vingt ans, aux débuts de Wikipédia, j’écrivais dans mon essai Et mon tout est un homme :
Je ne suis pas contre Wikipédia ! Je m’en sers comme un autre — peut-être plus que beaucoup d’autres. Ce qui est affligeant, c’est que les articles ne soient pas signés, qu’ils sont contrôlés par des « lecteurs » que nous ne contrôlons pas nous-mêmes (puisque nous ignorons qui ils sont). Ce que je déplore c’est la disparition de la personne qui m’instruit, c’est cette manière de valoriser l’anonymat. Face à un interlocuteur physique, réel, vivant, je peux au moins exprimer mon accord ou mon désaccord. Mais devant personne, que puis-je faire ? Qui a intérêt à m’isoler comme je le suis ?
Comme enseigneur, j’ai toujours honoré le nom de mes élèves, les reconnaissant ainsi dans leur identité propre. Ainsi ai-je écrit dans mon premier essai sur l’éducation, Le Maître des désirs :
Pour être sûr que personne n’a oublié de mettre son nom sur sa copie, j’ai coutume de dire, en fin de contrôle : « N’oubliez pas de signer votre devoir avant de me le rendre. » De mon côté, je « signe » souvent les documents que je distribue en classe d’un ã Joël Hillion. Ce n’est pas prétention de ma part, je tiens seulement à rappeler que mon cours et mes méthodes me sont propres, que mon enseignement n’est pas celui de tout le monde, qu’il n’y a pas de pédagogie universelle, ni de professeurs interchangeables, et que l’éducation est un dialogue entre personnes réelles.
L’anonymat est la planque lâche des terroristes, jusqu’aux plus
minables, les commentateurs imbéciles sur les réseaux sociaux, vulgaires,
sexistes, racistes. Ils avancent masqués pour dissimuler leur violence
atavique. Et les muskiens qui prétendent défendre la liberté d’expression sont de
sales hypocrites.
La
première chose humaine qu’un être humain reçoit, c’est son nom. Le nommer est
comme un baptême, une intronisation dans le monde des vivants. À l’instant où
le cercle humain vient prendre en charge ce que la nature a patiemment élaboré
en neuf mois, la culture prend le relais, et ceci est définitif. Une fois
nommé, l’être humain ne peut plus se défiler, sauf à se condamner soi-même à la
déchéance et à l’oubli.
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