Mimétisme

 

 

C’est la faute à Rousseau

 

« Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.

      « Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu.

   « […] Être éternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes semblables ; qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères. Que chacun d’eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité, et puis qu’un seul te dise, s’il l’ose : je fus meilleur que cet homme-là. »

 

Jean-Jacques Rousseau, Confessions,1765, Préambule, Extrait. 

* 

Ironie pitoyable du pauvre Jean-Jacques, fatale dérision de son entreprise, alors même qu’il proclame son autonomie, sa différence absolue d’avec le reste du genre humain, qu’il conçoit « l’homme moderne » dans toute sa souveraineté intouchable, il n’a de cesse de se comparer. Il en appelle à Dieu qu’il « rassemble autour de [lui] l’innombrable foule de [ses] semblables ». C’est un malheureux garçon dévoré par un mimétisme primaire. Et dans sa modestie, il n’a pas peur de croire que personne ne fut et ne sera jamais « meilleur que cet homme-là », c’est-à-dire meilleur que lui. L’individu selfique est né en 1765 !

   Rousseau sera bien sûr imité, justement par ceux qui se déclarent uniques. Écrire « uniques » au pluriel est antithétique. Ou banal : bien sûr, nous sommes tous uniques, et c’est ce qui fait notre similitude !

   Aujourd’hui, « confessions » se dit blog, texto, chat, post, tweet, papotage sur les réseaux sociaux. Nous ne voulons « point d’imitateur » et nous collectionnons avec passion les likes, et nous nous jetons sur les influenceurs. 

   Je tiens moi aussi un blog quotidien. N’ai-je pas la tentation de m’y contempler dans ma belle de solitude ? Surtout pas. Je suis ouvert à toutes les ferveurs d’autrui, j’attends que les autres me découvrent leurs désirs et je veux m’en imprégner, je suis curieux de tous mes prochains. Avec Michel Serres, « je pense trouver l’être en autrui ». Je dépends donc beaucoup de toi, cher lecteur bénévole.

 

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