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Le paradoxe de l’autonome 

L’individu autonome, libre de toute attache, souverain et fier de l’être, libertarien si possible, est une boule de contradictions. C’est aussi un hypocrite : il n’avouera jamais son ostracisme foncier. L’autonomie, en effet, n’est rien d’autre que le rejet des autres. Je n’ai besoin de personne, dit-il. Ah, bon ? Sauf pour quelques magnats outrecuidants, riches et insultant les pauvres de qui ils tiennent leur fortune, l’autonome camoufle généralement son égoïsme sous des formules telles que « Ne vous occupez pas de moi », « Je peux bien me débrouiller tout seul », ou « Ne m’attendez pas » quand il est en train de vous faire attendre. L’inversion complète de l’argumentation est flagrante. Parce qu’il ne veut pas dépendre d’autrui, l’autonome décide que les autres ne dépendent pas de lui. L’excuse est retorse. Elle révèle, en profondeur, que l’autonome n’est pas complètement dupe et qu’il dissimule sa gêne, voire sa culpabilité, sous des oripeaux de générosité : « Ne vous dérangez pas pour moi ». L’idéologie du « chacun est libre… » est fallacieuse. Non, chacun n’est pas libre, et dans notre monde de plus en plus complexe, de plus en plus hyperrelié, nous sommes mêlés aux autres comme jamais.

   Quoi qu’il arrive, pour vivre « en toute autonomie », je dépends des services publics, des services de distribution commerciale, des services hospitaliers. Je ne fabrique pas mon eau potable tout seul, je n’ai pas construit les routes sur lesquelles je roule… Dans notre « civilisation de l’autonomie » (ainsi se prétend-elle), chacun est aux abois et compte les minutes qui passent avant l’arrivée des secours ! Ou dans l’espérance d’un « soutien psychologique ». Ce qui est naturel au fond, mais alors, pourquoi ne pas l’admettre ?

   La véritable autonomie est la maîtrise de soi, elle sous-entend que l’on est disponible aux autres, toujours en lien avec son environnement social sans en être la marionnette, capable de garder son libre arbitre même en cas de panique. Il n’y a pas d’exercice sur soi plus difficile.

   Ceux qui se prennent pour « les rois du monde », évidemment, affirment leur liberté en la rendant simplement arbitraire, capricieuse. Ils sont imprévisibles. Pour se donner l’impression de ne dépendre de personne, ils choisissent d’être craints par tout le monde. La démonstration est absurde, elle est méchante, elle est décourageante.

 

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